Que représente la pierre dans les paraboles et légendes ?
La pierre, dans de nombreuses mythologies et légendes, incarne souvent une idée de puissance latente, voire de transformation mais aussi d’immobilité, de blocage, d’inertie. Elle semble être intimement liée à la tension du désir. Quand cette tension est dissipée, elle conduit à l’immobilité, à l’inertie propre au minéral. Le mouvement ne pouvant exister dans l’univers en l’absence de forces et tensions. Mais atteler cette force permettrait de libérer un pouvoir caché, d’extraire de la roche une énergie potentiellement capable de contrecarrer les forces de l’illusion en soi.
Première partie. Légendes et mythologies autour de la pierre
Excalibur et l'épée dans la pierre :
Dans la légende arthurienne, l'épée Excalibur est enchâssée dans une pierre, et seul celui qui est digne, capable de canaliser sa force intérieure, peut la retirer. Ce mythe symbolise le potentiel caché de l'être humain, prêt à être révélé par celui qui sait utiliser les tensions de ses désirs et ses instincts. La pierre ici incarne l’état habituel de dissipation du pouvoir intérieur empêchant le mouvement intérieur ascendant de la croissance humaine. La dissipation du désir ici serait l'impossibilité de retirer l'épée, tandis que l’art de bien utiliser le désir mène à son extraction et l’accès au pouvoir intérieur, tel que l’évoque l’analyse de Barber sur les mythes de la royauté sacrée [1].
La Méduse et la pétrification :
Dans la mythologie grecque, Méduse, avec ses cheveux de serpents, transforme les hommes en pierre d’un seul regard. Ici, la symbolique serpentine est clairement liée à l’énergie sexuelle et au désir, et le fait de se laisser subjuguer par toutes nos pulsions conduit à l’immobilité. La pétrification devient une métaphore pour la dissipation complète de l'énergie du désir, où celui qui se laisse dévorer par ses pulsions sans les sublimer devient « inerte », sans force, bloqué dans l'entropie. Comme le note McGowan, Méduse est une figure où le désir non contrôlé conduit à l'immobilité spirituelle [2].
La pierre d’achoppement (signifiant “qui fait trébucher”) qui devient la pierre angulaire :
Ce concept biblique fait référence à une pierre brute dangereuse, qui serait rejetée par les “bâtisseurs” (ceux qui ont créé les institutions religieuses), mais qui devrait être taillée pour devenir finalement la pierre angulaire, la fondation du “temple” (notre croissance en tant qu'humain).
Spirituellement, cela évoque l’idée que les forces ignorées ou mal comprises (le désir, la sexualité) sont souvent rejetées par les diverses religions du monde, mais ces mêmes forces, bien utilisées, pourraient être essentielles à la construction d’un édifice spirituel. La tension du désir peut souvent nous faire stagner, mais si canalisée, elle devient la fondation de la réalisation spirituelle, comme l'explique Eliade dans son analyse du sacré et du profane [3] et tant d'autres auteurs et écoles spirituelles.
La pierre dont on tire l'eau de la vie :
Dans l’Ancien Testament, Moïse frappe une pierre et en fait jaillir de l’eau pour sauver son peuple dans le désert. Cette image forte peut être vue comme une allégorie de l'extraction d'une force de vie mouvante (l'eau) depuis une source apparemment sans vie et sans mouvement. La tension contenue dans la pierre est libérée par un geste de maîtrise, et cette eau représente le désir transformé, rendu fluide et nourricier. Eliade explore ce thème dans ses travaux sur les rituels de fertilité et de transformation [4].
La pierre philosophale dans l’alchimie :
L’alchimie médiévale évoque la notion de Pierre Philosophale, censée transformer le plomb en or. Ici, la pierre symbolise l’état non raffiné de l’humain, incluant ses désirs primaires, et le processus alchimique vise à utiliser cette pierre sagement pour extraire l’or spirituel du plomb de la personnalité. Encore une fois, la maîtrise de la tension cachée dans le désir est essentielle à la transformation. Fulcanelli, dans ses études alchimiques, soutient que la pierre est une métaphore de la sublimation de l’énergie intérieure [5]. La pierre philosophale n'est donc pas une pierre ou un objet ou même une chose particulièrement unique mais un traitement unique de quelque chose qui est en chacun de nous. La sexualité et le désir.
Là où l'humain habituellement ne voit que pierre sans mouvement, l'alchimiste voit un outil de transformation ultime.
Sisyphe et son rocher :
Le mythe de Sisyphe dans la mythologie grecque est une autre métaphore puissante. Sisyphe est condamné à rouler éternellement un rocher jusqu’au sommet d’une montagne, pour le voir retomber à chaque fois. Ce mythe représente une forme de stagnation éternelle, une répétition cyclique sans progrès, la roue de Samsara, le destin de quiconque ne fait que se conformer aux volontés de ses envies.
Analyse philosophique et spirituelle
Nous touchons ici à quelque chose de fondamental : le rapport entre le désir, la tension et la pierre. Le désir, mal utilisé, se dissipe et avec lui toute force, et ceci finit par nous transformer en pierre, nous bloquant dans l'inertie et l'entropie. La pierre devient le symbole de l’arrêt du mouvement, le point final de la chute, lorsque la force du désir n’est pas canalisée ou sublimée. En revanche, si l’on sait maîtriser et atteler cette force, on peut « extraire l'épée de la pierre » : autrement dit, tirer du désir son pouvoir créateur, libérer l'énergie qu'il contient, et ainsi transcender « Maya Shakti » (la force cachée dans un univers d’illusions).
Le texte du Hevajra Tantra [6] est également dans cette lignée. Ce texte soutient que c'est par ce qui fait chuter l'humain (le désir) que l’on peut se libérer. La sexualité, symbolisée ici par le serpent ou la Méduse, devient la clé de la transformation spirituelle si elle est maîtrisée. Mais si elle n'est pas transcendée, pourrait nous pétrifier.
Interprétations supplémentaires sur la pierre et la tension
La pierre comme symbole d’inertie :
La pierre pourrait donc symboliser la fin du mouvement, la stagnation résultant de la dissipation de la tension du désir. On pourrait même voir dans la pierre une métaphore de l’entropie ultime, où tout désir est éteint, où la vie cesse de se mouvoir.
Le minerai caché dans la pierre :
Cependant, la pierre cache aussi un trésor, une énergie latente. Dans certaines traditions, les pierres précieuses (diamants, rubis) sont des symboles de la force spirituelle cachée au sein de la matière brute. Extraire ce trésor, c’est savoir utiliser la tension du désir pour révéler son pouvoir transformateur.
La pierre comme outil de construction :
Dans les traditions de la maçonnerie (symbolique), les pierres brutes doivent être taillées et polies pour devenir les pierres d'un édifice sacré. La pierre brute, c’est l’être humain avec son désir non raffiné auquel il obéit sans retenue. Le travail spirituel est nécessaire pour transformer cette pierre en un outil constructif, tout comme la sexualité sacrée doit être affinée pour devenir une voie d’élévation.
En résumé, la pierre dans ces mythologies est un symbole double : à la fois d’inertie et de puissance latente. Elle est le produit de la dissipation du désir, mais elle cache aussi une énergie qui, si elle est correctement maîtrisée et transformée, peut conduire à la libération. C’est une belle analogie pour la tension du désir, qui peut soit nous pétrifier, soit nous propulser vers une réalisation plus haute.
Références
Barber RT. King Arthur and Sacred Sovereignty. New York: Oxford University Press; 1986.
McGowan P. Myths of Desire: The Role of Medusa. London: HarperCollins; 1998.
Eliade M. Le sacré et le profane. Paris: Gallimard; 1965.
Eliade M. Mythes, rêves et mystères. Paris: Gallimard; 1957.
Fulcanelli. Le Mystère des Cathédrales. Paris: J. Schemit; 1929.
Snellgrove DL. The Hevajra Tantra: A Critical Study. Oxford: Oxford University Press; 1959.
Deuxième partie : pratiques pour extraire l'essence de la pierre : La puissance de l'imagination et la déconstruction des "il faut"
L’une des plus grandes forces de l’esprit humain est son imagination. Lorsque nous étions enfants, l’imagination nous permettait de modeler temporairement notre réalité : une branche devenait une épée magique, un carton un château. Mais cette capacité n'est pas seulement un jeu ; elle est une clé pour éviter de nous figer dans l’inertie et l’entropie des illusions du monde. L’imagination devient alors une pratique spirituelle, une méthode pour ne pas se « transformer en pierre » et pour extraire de la roche notre propre essence.
Libération par l'imagination : Revoir les "il faut"
Le monde moderne est rempli de « il faut » qui nous sont imposés, souvent subtilement, dès notre naissance. Ils s'insinuent dans nos esprits et dirigent notre existence : il faut être riche, il faut avoir du succès, il faut avoir une famille, il faut être attirant, il faut éviter les tensions, et tant d'autres. Ces attentes, qui agissent comme des injonctions sociales, finissent par nous emprisonner dans des carcans rigides, comme des chaînes invisibles. En les suivant sans conscience, nous risquons de nous figer, de nous transformer en pierres, immobiles et sans force intérieure.
Ce processus d'immobilisation peut être contrecarré par un exercice simple : l’imagination active, où nous commençons par remettre en question chaque « il faut ». Cette pratique consiste à se détacher volontairement de ces illusions et à les traiter comme ce qu'elles sont : des constructions sociales, des mirages que nous avons acceptés par consentement silencieux.
Déconstruire les illusions : Une pratique libératrice
Commence par faire une liste de tous les "il faut" qui t’ont été imposés. Sois honnête et exhaustif : cela inclut les attentes de ta famille, de la société, de la culture populaire, et même de tes propres projections de ce qu’est une « bonne vie ». Voici un exemple de liste :
Il faut réussir dans la vie.
Il faut accumuler des diplômes.
Il faut avoir un statut social élevé.
Il faut satisfaire les attentes familiales.
Il faut plaire à la société.
Il faut éviter les conflits et les tensions.
Il faut être reconnu, admiré.
Chaque « il faut » est une pierre qui, si elle n’est pas examinée, s'accumule pour former un mur d’inertie spirituelle. Une fois que tu as ta liste, imagine la possibilité que ces « il faut » soient des illusions, tout comme un enfant qui comprend que son château de carton n’est pas un véritable château, mais une construction temporaire du jeu.
S'ouvrir à un nouveau mode d'être : La voie du contentement
Cette pratique mène à une question cruciale : que se passerait-il si ces "il faut" n'étaient pas nécessaires ? Imagine un instant que réussir dans la vie ne soit pas lié à la richesse ou à la renommée, mais à une forme de contentement intérieur. Cette idée, présente dans plusieurs traditions spirituelles, suggère que la véritable réussite est de satisfaire nos besoins profonds, ceux qui ne dépendent ni de l'opinion des autres, ni des biens matériels, mais de l'harmonie intérieure.
Le contentement ne signifie pas un rejet total de tous les désirs, mais une réévaluation profonde de leur origine. Quand nous dépassons les « il faut » extérieurs et que nous nous demandons ce que nous voulons réellement, nous touchons à l'essence de notre être. Cette forme de contentement est particulièrement libératrice parce qu’elle nous dégage de la course sans fin vers des objectifs qui ne nous nourrissent pas vraiment. Elle nous invite à voir la vie sous un angle totalement différent, où les tensions sont non seulement acceptées, mais aussi valorisées comme des forces nécessaires au mouvement et à la croissance.
Imaginer un monde sans contraintes : Un exercice quotidien
Chaque jour, prends un moment pour te poser cette question : « Que ferais-je si aucun de ces "il faut" n'avait d’importance ? » Laisse ton imagination courir librement. Que ferais-tu de ton temps ? Quelles seraient tes priorités ? Avec qui passerais-tu ton existence ? Cette pratique simple peut aider à briser le mur d’inertie construit par les « il faut » et à révéler la véritable pierre philosophale en toi : cette énergie créatrice, dynamique, qui ne suit pas les règles rigides des illusions du monde.
Conclusion : Transformer la pierre en essence vivante
Finalement, ne pas se transformer en pierre est un exercice de vigilance, d’imagination et de remise en question. Le monde moderne nous pousse à nous conformer à des attentes qui, bien souvent, ne servent pas notre véritable essence. Mais en examinant chaque « il faut » et en acceptant que ces injonctions ne soient que des constructions passagères, nous pouvons redécouvrir notre pouvoir créateur. Nous pouvons littéralement extraire de la pierre cette énergie bloquée et la transformer en force de vie, en tension créative qui alimente notre croissance spirituelle.
Troisième partie : Aller au-delà de l'imagination
Cet exercice d’imagination, bien que puissant et fondamental, n’est qu’une première étape. Il nous offre une porte d’entrée pour commencer à déconstruire les illusions et à percevoir le monde d’une manière plus libératrice. Cependant, il existe bien d’autres pratiques, beaucoup plus avancées, qui permettent d’atteindre des niveaux de transformation encore plus grands. Dans l’histoire spirituelle, certaines techniques ont été considérées comme des sommets de l’art d’extraire l’eau de la roche ou de retirer l’épée de la pierre, des métaphores pour la libération de notre potentiel caché.
Les pratiques de yoga, en particulier celles qui intègrent le contrôle de la respiration (pranayama), les bandhas et les mudras, permettent d’agir directement sur l'énergie intérieure, et la tension du désir. Ces méthodes sont des outils puissants pour non seulement stopper la dissipation de la force vitale, mais pour l’accumuler et la rediriger vers des objectifs spirituels élevés. Comme l’enseigne Madeleine Biardeau, la libération est atteinte en attelant le désir au service de la libération.
Plus encore, certaines formes de pratiques intimes sacrées (comme enseignées dans mes cours Tantra 1 et Tantra 2) ont été historiquement vues comme les plus hautes méthodes pour atteler l’énergie sexuelle et l’utiliser pour l'élévation spirituelle. Ces techniques combinent les principes du yoga avancé avec une approche sacrée de l’intimité, où l'énergie du désir est cultivée et hissée au sommet en soi. Ces pratiques permettent de subtiliser l’énergie, littéralement de sublimer le désir, ce qui est la clé pour non seulement retirer l'épée de la roche, mais aussi pour atteindre des états particulièrement souhaitables d’harmonie et d'union.
Ces méthodes, quand elles sont correctement comprises et pratiquées, représentent l’art ultime d'extraire l’eau de la roche, de transformer la pierre d’inertie en un flot d’énergie vivante et créatrice. Elles dépassent largement la simple imagination en intégrant le corps, l’énergie et l’esprit dans une union sacrée qui ouvre les portes de la libération humaine.
Stéphane Richer
Centre Summum
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Fondateur, Centre Summum
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